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03 novembre 2021

Matthieu 5, 17-24 ©TOB

« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. 18Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé. 19Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. 20Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Meurtre et réconciliation 21« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal. 22Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : “Imbécile” sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu. 23Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, 24laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.

Notre texte est précédé de celui qui donne une identité aux disciples, c’est-à-dire à toutes celles et tous ceux qui suivent Jésus. Le disciple est le sel de la terre et la lumière du monde, le chrétien est cette personne qui a la capacité comme le sel, de donner du goût à la vie, et comme la lumière d’en illuminer les moments obscurs. Dieu a créé le jour, et il a aussi créé la nuit. Puis il a fait les astres pour que la nuit ne soit pas toute noire. Lorsque la vie devient fade, lorsque l’obscurité menace, le disciple est le juste. La justice dans l’évangile de Matthieu caractérise le vrai croyant.

La parole de Dieu, dont nous avons entendu la lecture dans l’évangile de Matthieu met en rapport la loi et la justice. Est-ce que la loi, l’application de la loi, ou encore le respect de la loi disparaissent avec la venue de Jésus-Christ ? Quelle est la place de la Loi et en quoi consiste la véritable justice ? Voilà des questions qui méritent une réponse, face aux déclarations très fortes du monde moderne, qui disent que Dieu est miséricordieux, que nous sommes sauvés par la foi et non par la Loi. Est-ce-que la Loi est encore valable ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre le contexte social et religieux dans lequel l’évangéliste parle. En effet, l’évangile de Matthieu répond à un problème historique réel, une situation difficile qui a menacé la paix: la communauté de Matthieu se trouve au cœur d’un débat sur la Loi, débat dont les indices sont visibles, à travers deux fronts polémiques identifiés dans les chapitres 5 à 7 (le sermon sur la montagne).

A l’extérieur de sa communauté, il y a le premier front, qui est constitué par la tradition des pharisiens représentant du judaïsme. Pour ce front, la justice consiste en l’observation ritualiste des préceptes de la Loi (5,20). Le deuxième front se trouve à l’intérieur de la communauté de Matthieu : il est constitué par un cercle de croyants qui affichent une distance par rapport à la Loi (5,17). On est sauvé par la grâce, la Loi n’a plus sa place.

Jésus se positionne contre ces deux fronts qui, pris isolément ne peuvent conduire ni à une véritable spiritualité, ni au « Royaume des cieux ». Il répond alors au verset 17 : Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi et les prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir.

Jésus montre la justice, la véritable spiritualité par la démonstration de l’erreur des pharisiens et des croyants rebelles: Il s’inscrit en faux contre ceux qui pensent que sa venue supprime la Loi. Le verbe accomplir exprime la conviction qu’il est celui en qui s’accomplit la Loi. Jésus est celui qui nous donne l’impulsion, la capacité, la possibilité de suivre et de respecter 3 la Loi sans que cela ne soit pour nous, un fardeau, mais un chemin de salut.

Jésus n’a rien supprimé, mais il interpelle à vivre avec une conviction qui vient du cœur, il invite à se laisser motiver par l’Esprit saint afin de ne plus être préoccupé par ce formalisme extérieur. En déclarant qu’il est venu accomplir, la Loi, Jésus s’adresse aux scribes et aux pharisiens qui en avaient fait un rite, une forme sans contenu, d’où le développement de l’hypocrisie, et la persistance de l’injustice et de la souffrance. La loi ne disparaît pas parce qu’elle est au service de la vie, et son application devient possible lorsqu’on se laisse guider par l’Esprit Saint. D’où la nécessité pour chaque chrétienne, pour chaque chrétien, de se poser cette question : quelle est l’importance de la loi de Dieu dans ma vie, quel degré d’importance j’attache à l’obéissance à Dieu? Jésus va prendre plusieurs exemples dans ce texte pour illustrer, pour montrer concrètement et simplement ce qu’est un véritable disciple, un juste. En effet, Jésus n’est pas dans les complications, Il fait des choses simples. Je vais garder pour aujourd’hui un seul de ces exemples. Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande. (Mt5, 23-24)

Cette injonction de Jésus: « d’abord te réconcilier » ne l’oublions pas, vient immédiatement après une mise au point qui comporte deux éléments principaux : la validation de la totalité de la Loi (5,17) et le rejet de la justice des scribes et des pharisiens (5,20) qui n’est qu’un rituel. Selon la tradition rabbinique, pratiquer la justice c’est présenter son offrande à l’autel. Mais Jésus montre qu’il y a des impératifs ou des conditions préalables à la validation de cet « acte de justice ».

Il faut que celui qui doit apporter son offrande s’assure d’abord que cette offrande est appréciée de Dieu. Autrement dit, la justice que l’on manifeste à l’extérieur doit émerger de l’intérieur de la personne comme un écho d’une harmonie multidimensionnelle ; une harmonie du donneur avec lui-même, l’harmonie du donneur d’offrande avec son entourage et son harmonie avec Dieu. La réconciliation que l’on trouve au verset 24 est la remise en accord, ou en harmonie des personnes qui étaient brouillées avec elles-mêmes, avec les autres et avec Dieu. Ce verbe est utilisé à la deuxième personne du singulier de l’impératif, et traduit dans le texte une nécessité, un impératif. « Si donc tu présentes ton offrande sur l’autel et là, tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre toi, laisse- là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère. » (5,23-24a).

La réconciliation est donc une nécessité et une condition préalables à toute adoration. Ici, le désaccord qui intervient dans la vie du croyant ne peut pas permettre une foi épanouie. La réconciliation est une urgence, elle est radicale, non discutable et se situe à trois niveaux: Il y a d’abord la réconciliation avec soi-même : Cette dimension de la réconciliation est introduite dans le texte par « si tu te souviens ». Cette expression renvoie le croyant à lui-même. Le processus de la réconciliation ne doit pas être déclenché par une plainte, ou par une démarche engagée par l’autre. C’est au croyant de déterminer, en regardant à l’intérieur de lui-même si son frère n’est pas content de lui. Je recommence : Si un chrétien, une chrétienne doit prendre connaissance de son désaccord avec son frère sans entrer en contact avec ce frère, c’est que ce désaccord prend sa source en lui-même. En effet, selon Matthieu, c’est au croyant de s’auto-examiner pour voir au tréfonds de lui-même s’il n’y a pas de sa part une attitude ou un agissement qui ait porté préjudice à l’autre.

 Partir de soi-même, de son comportement, de ses pensées, de ses actes pour savoir si on n’est pas soi-même responsable du désaccord avec l’autre, est une démarche qu’on n’entreprend pas le plus souvent. Le verbe se souvenir dans « si tu te souviens » renvoie le croyant à lui-même : et la conjonction « si » traduit l’urgence d’une réconciliation préalable avec soi-même, comme  condition de l’harmonie avec les autres. Dit autrement, lorsqu’on n’est pas réconcilié avec soi-même, on se brouille et on casse avec les autres. Lorsqu’on n’ose pas se regarder soi-même, on en accuse toujours les autres, on est porté à projeter sur les autres ses problèmes personnels. C’est ce regard sur soi-même qui peut amener le croyant à se convertir, à changer de point de vue sur soi et à porter un regard favorable sur les autres. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre cette parole de Jésus « si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi » (5,29). Nous n’avons pas à faire ici, à un appel à la mutilation, mais à une exhortation à s’accorder avec soi-même comme garant de l’accord avec les autres.

Ensuite, il y a la réconciliation avec l’autre, le frère, la sœur : si le croyant a pris conscience de la rupture avec son frère, il y a urgence de rétablir la relation. « Laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Une fois encore, c’est celui qui veut donner son offrande, c’est le chrétien ou la chrétienne qui veut adorer, qui doit prendre l’initiative de la démarche, qui le conduit vers celui à qui le tort est infligé. Il doit tout abandonner, même s’il était sur le point d’accomplir son acte: « laisse - là devant l’autel ». Dans la tradition juive, il était permis à un croyant laïc d’entrer dans la cour des prêtres où se trouvait l’autel. « Pour interrompre un acte si solennel, il fallait un motif très important ». En demandant au croyant qui est en désaccord avec son frère de suspendre son adoration, Jésus place la réconciliation comme un préalable à l’adoration. Le croyant doit être capable de redresser la situation avant d’adorer son Dieu. Jésus exige le pardon de la part de ceux qui recherchent le pardon de Dieu (6,14s ; 18,21-36). Si le croyant n’est pas en accord avec son vis-à-vis, il ne peut prétendre entrer en communion avec Dieu. « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ». Les chrétiens ne retiennent pas souvent la deuxième partie de ce verset du Notre Père. Nous sommes pardonnés lorsque nous pardonnons.

Pardonner, c’est aimer par-dessus l’offense que nous avons subie. Je suis offensée, je montre l’amour, je donne l’amour. Enfin, il y a la réconciliation avec Dieu. La démarche de la réconciliation avec Dieu ne peut être déclenchée que si le croyant est en harmonie avec son semblable : mais, le croyant ne peut être en accord avec les autres que s’il est en règle avec lui-même. La réconciliation avec Dieu, la véritable adoration, la justice « supérieure » se présente ici comme une finalité. Elle est un don de Dieu et ne peut être reçue que par ceux qui se laissent guider par Jésus-Christ. La réconciliation se présente ici, sous les couleurs de la justice « supérieure » car sa finalité, comme cette dernière, est la perception de soi-même et des autres comme des êtres toujours en relation : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les prophètes » (7,12). La réconciliation avec soi-même, avec l’autre et avec Dieu produisent des effets visibles, ce que Matthieu a appelé la paix. Frères et sœurs, nous voulons la paix, et nous sommes appelés à promouvoir la paix : il n’y a pas deux solutions : la relation. Jésus est ce lien qui nous met en relation les uns, les unes avec les autres. Oserions-nous couper ce lien ? La Justice supérieure, la paix ici se comprend comme le maintien des relations interpersonnelles : tout chrétien, sel de la terre et lumière du monde, dépasse les différences culturelles, religieuses et personnelles pour entrer en dialogue avec les autres, pour les aimer et les respecter. AMEN

Pasteure Priscille Djomhoué